Sylvie Cesari

Retour à la liste

Ajouté le 1 nov. 2025

Hobby, travail , ....ou dévouement ?


De belles œuvres à déguster et de plus des passionnés pour nous expliquer les subtilités de l'art de l'aquarelle. Merci pour votre dévouement....

….c'était un des commentaires magnifiques laissé sur le livre d'or de l'exposition à Dinan...

Je voudrais m'arrêter sur le mot dévouement.

Cela fait écho à un petit article dans le Hors Série n°2 d'octobre -Décembre de l'Art de l'aquarelle page 11 consacré à Jérôme Cossé : « dans le cadre des salons et festivals, l'artiste est un bénévole pas comme les autres ». Est posée la question de la rémunération de l'exposant, par exemple en faisant payer l'entrée....

Sujet polémique qu'il me semble pourtant utile d'aborder. 

J'aime bien sur ce type de sujets, reprendre le cadre et le contexte de notre société....cela aide à réfléchir...


   1) L'accès à la     culture un principe constitutionnel :

En 1971 le conseil Constitutionnel a donné une valeur normative au Préambule de notre Constitution qui date de 1958. Les déclarations des droits de l'homme et du citoyen de 1789 font ainsi partie de notre socle Républicain. Ce socle a été complété par la Déclaration Universelle des Droits de l'Homme adoptée le 10 décembre 1948 à Paris par l’Assemblée Générale des Nations Unies, et ratifiée par la France en 1980 :

Article 27

1. Toute personne a le droit de prendre part librement à la vie culturelle de la communauté, de jouir des arts et de participer au progrès scientifique et aux bienfaits qui en résultent

2. Chacun a droit à la protection des intérêts moraux et matériels découlant de toute production scientifique, littéraire ou artistique dont il est l'auteur.

L'accès à la culture pour chacun est dès lors un droit établi. Pour autant l'accès aux musées est rarement gratuit, beaucoup de salons sur les Arts sont sur entrée payante ….

Faudrait-il faire payer l'accès à une exposition d'aquarelle ? 

Lorsque nous étions de permanence, plusieurs visiteurs nous ont demandé « c'est combien l'entrée » ou bien « c'est payant ?», d'autres de peur que ce soit payant, ont fait demi-tour à peine un pied posé à la sortie du petit couloir ou ont fait semblant de ne pas nous voir à l'entrée dès fois que ….

Nous avons fini par mettre une petite affiche « entrée libre » à l'extérieur de l'exposition ….Oui l'accès était gratuit.

Difficile de priver d'accès une partie des visiteurs d'un accès à une exposition. C'est une façon de les priver d'exercer leur droit d'accès à la culture. Ce sentiment négatif serait je pense entretenu par le fait que l'aquarelle a un côté « populaire ». C'est un médium facilement accessible. Un pinceau, trois godets un petit carnet et on peut s'amuser rapidement ….

Beaucoup de nos visiteurs semblaient être des passionnés d'aquarelle. Très peu osaient se définir « aquarelliste », mais ils étaient nombreux à dire pratiquer de temps en temps l'aquarelle ou à avoir pratiqué puis abandonné, ils se présentaient comme des pratiques en « amateur »....Si on continuait la conversation, on voyait que leur pratique était le plus souvent soutenue, que très souvent ils avaient suivi des cours ou  étaient membres d'associations ou d'ateliers d'aquarelle … c'est le fait d'exposer ou non qui participait le plus souvent à se sentir amateur ou « aquarelliste ». Évidemment je vous retranscris que mon prisme personnel à partir de quelques conversations lors de ces journées à Dinan....cela n'a aucune autre valeur.

En tout cas on ressent que ce médium est un médium de « proximité ». Ce qui constitue un obstacle à un paiement à l'entrée à mon sens. L'aquarelle est d'abord dans un imaginaire d'une pratique amateur. Imaginaire servi par la spécificité de ce médium, vécu plus « léger » que l'huile ou l'acrylique par exemple....malgré la nouveauté des techniques et de supports qui permettent aujourd'hui des œuvres très comparables en « corps » à des « tableaux de maîtres » pour les plus talentueux des aquarellistes....

L'aquarelle est rarement vécue  dans l'imaginaire collectif comme un art...plutôt un sous-art...

On voit bien que ces perceptions sont un frein à un accès payant.

Par ailleurs, je pense qu'un accès payant suppose que ce soit en adéquation avec l'intention de l'exposition, sans compter l'exigence de qualité en retour des œuvres présentes...Accès payant à une culture de qualité …

Si je reprends l'exposition de Dinan, les intentions étaient multiples, je pense que la vente des œuvres était un objectif accessoire.

Les objectifs principaux, en tout cas c'est ainsi que je les avais compris, étaient en lien avec le mouvement impressionniste:

D'une part ce mouvement étaient constitués d'artistes en rupture avec l'enseignement académique d'alors : ils ont cherché à détourner les règles académiques pour favoriser la lumière dans un contexte global plus atmosphérique que précis. Refusés des salons et des expositions ils ont du créer leur propre association et mouvement pour exister. 

L'aquarelle porte en elle ce manque de légitimité : difficile de trouver des galeries qui croient en l'aquarelle, huile et acrylique sont présents en majorité dans les salons d'art, l'aquarelliste a peu de choix pour exposer en individuel ou en collectif, il doit faire preuve d'imagination et de liens de proximité pour exister avec parfois des lieux d'exposition détournés (office de tourisme, cafés, bibliothèque...). Les festivals d'aquarelle sont souvent réservés aux élites de l'aquarelle, ceux qui sont capables de démonstrations publiques toujours plus exigeantes en innovation de sujets ou de techniques...

D'autre part les impressionnistes en déjouant les codes ont voulu porter haut le sentiment, l'impression, l'émotion, prenant la trace des romantiques pré-impressionnistes comme Turner. 

L'exposition de Dinan souhaitait de la même façon favoriser l'émotion, la rencontre, l'atmosphère, cette capacité de l'aquarelle à déclencher des coups de cœur, à donner du bonheur...ressentis propres à ce médium qui vit d'eau, de pigments, de transparence et de spontanéité, un médium qui porte en lui beaucoup de vie...

Ainsi, les intentions principales étaient de démontrer toute la légitimité de l'aquarelle, dans sa capacité à déplacer des visiteurs et à produire de l'émotion.

Objectifs atteints compte-tenu des retours reçus et écrits sur le livre d'or.

Donner à voir l'aquarelle comme un art, c'est à dire capable de parler aux sens, aux émotions, aux intuitions et à l' intelligence (pour reprendre Wikipédia) c'était un acte militant.

Difficile de penser qu'un tel acte de revendication  puisse faire l'objet d'une entrée payante. Il me semble qu'il y aurait tension entre intention et objectif. Ne serait-ce que parce que cela s'adressait au plus grand nombre par définition.

Prenons désormais un autre élément de contexte, le statut de l'aquarelliste qui participe à une exposition avec l'intention de pouvoir vendre ses aquarelles. 

2)  le statut d'artiste    auteur

Cette fois je vais faire court, car j'évoque cela pour le ramener à la notion de « dévouement » qui constitue le sujet de cet article. Il s'agit d'une transition pour nourrir ce qui va suivre.

Le principe est simple, celui qui veut vendre doit être déclaré, même à la première œuvre vendue. Cela suppose de se déclarer auprès de l'INPI ( l'Institut National de la Propriété Intellectuelle » qui sert de guichet unique et met en lien le déclarant avec les autres organismes comme l'URSSAF du Limousin, la Sécurité sociale des artistes et le service des Impôts. 

Je pense que beaucoup de visiteurs ignorent cela et ont du mal à comprendre le prix des aquarelles en conséquence d'autant que l'imaginaire de « médium de proximité » est un des autres obstacles à la compréhension du prix de vente.

La conséquence du statut c'est que, suite à des ventes, l'aquarelliste va devoir verser des sommes à l'URSSAF ou aux impôts sans compter parfois des commissions ( pour la galerie qui l'expose, pour que l'organisateur puisse rentrer lui-même dans ses frais car achat de matériel d'exposition ou de communication et de location etc ... ….). Il doit donc y penser lorsqu'il fixe son prix pour ne pas vendre à perte. (Parenthèse utile : j'en profite pour rendre hommage à Janine Gallizia qui, outre qu'elle a supporté des frais de communication, n'a pas souhaité percevoir de commission sur les ventes ni de frais d'inscription pour l'exposition. Pareillement l'établissement des Cordeliers a grandement facilité le déroulement de l'exposition par des mises à disposition de lieux ou des tarifs préférentiels. )

Il existe des seuils conçus à partir du chiffre d'affaire s'agissant des sommes à devoir ou du statut juridique à adopter. Par exemple un artiste qui commence à gagner sa vie va devoir  basculer vers le droit commun des entreprises ou des sociétés. Quant à l'artiste débutant il va peut-être se heurter à des difficultés pratiques s'agissant de son activité accessoire (animation d'un atelier par exemple ) qui risque d'être supérieure à son activité principale (la vente d’œuvres) au point parfois de devoir  recourir au statut d'auto-entrepreneur voire d'entreprise individuelle pour ce qui devait être accessoire....petit mikado d’imbroglio....

A cela s'ajoutent les frais de fournitures (papier aquarelle, tubes, pinceaux etc …), les frais de formation, les frais de déplacement, les frais dus à un éventuel local surtout s'il est extérieur au domicile de l'artiste, les frais multimédia etc ….

Ce côté technique, somme tout classique à toute micro-économie,  peut peut-être vous heurter dans son évocation. Pourtant je pense que si on le ramène à l'imaginaire de proximité précédemment évoqué, sachez que des artistes débutants ou émergents, comme nous sommes aujourd'hui je pense s'agissant du groupe de Dinan, ont tendance à s'interdire de se présenter comme « aquarelliste » ou tout simplement « artiste » que ce soit l'artiste débutant à ses propres yeux, débutant qui a du se déclarer  pour une vente à la première œuvre...ou que ce soit aux yeux des visiteurs.....encore moins comme professionnel bien qu'il consacre parfois ses journées à l'acquisition de compétences, à la réalisation d'aquarelles, à la communication etc …

Et cette ambiguïté de représentation personnelle ou aux yeux des visiteurs il faut l'avoir en conscience avant d'aborder le thème suivant relatif à l'engagement gratuit de l'artiste.

3) Le contexte de  l'engagement non intéressé

Le fait de ne pas être rémunéré pour faire quelque chose, en général d'utile à l'intérêt général, c'est être bénévole. C'est à dire faire acte de bonne volonté.

Le sport français amateur, la vie culturelle associative, nombres d'oeuvres caritatives ….ne pourraient pas exister sans l'engagement, parfois au quotidien, de bénévoles....

L'ultralibéralisme, les crises géopolitiques et économiques sont autant de séismes à ces engagements...comment être bénévole si soi-même on ne dispose pas de rémunération ou de travail ….Sans même évoqué le contexte tendu de nos sociétés, le statut du bénévole est un peu comme le monstre du Loch Ness, souvent évoqué, rarement adopté...un peu une légende.

C'est pourquoi le bénévole engagé tombe plus souvent dans le dévouement. Il consacre parfois énormément de sa vie à servir une activité qu'il juge utile pour l'autre. C'est une forme active d'altruisme.

Si je prends le dictionnaire, le dévouement : action de se dévouer à ; disposition à servir / se dévouer : 1. se consacrer entièrement à ; Se dévouer à une cause 2. Se charger d'une tâche difficile ou peu enthousiasmante.

On voit bien que le dévouement possède une intensité dans l'exercice du bénévolat voire une forme de sacrifice. 

Ils ont été nombreux les visiteurs à noter notre engagement lors de l'exposition à Dinan pour partager, transmettre, expliquer, écouter.....et cela a contribué au bonheur reçu. Les aquarelles ont donné leur lumière et les exposants-acteurs ont donné un peu de leur âme, de leur ADN, au delà de leurs propres aquarelles. 

C'est ce couple aquarelle-exposant investi qui a contribué au sentiment d'humanisme prégnant tout au long de l'exposition. Et également parce que de nombreux visiteurs ne nous ont pas relégués comme de simples objets en s'intéressant à nous, en prenant le temps d'échanger avec nous....C'est cet ensemble qui a participé au succès de la manifestation et au fait que tout le monde a pu vivre un bonheur partagé.

Pour autant, si notre engagement était sincère était-il désintéressé ? Le fait que les aquarelles étaient à la vente, je ne pense pas que l'on puisse parler d'engagement gratuit malgré toute la puissance de notre conviction et de notre passion.

En cela, même s'il n'y aurait eu qu'une seule aquarelle à la vente par artiste, nous avions tous au moins un intérêt.

Je ne pense pas en conséquence, sur ce type d'exposition, que l'on puisse parler de bénévolat . De don oui. Mais pas de bénévolat. Or le don n'est pas viable sur la durée s'il n'est pas suivi d'un contre-don ( cf Paul Ricoeur, Parcours de la Reconnaissance, Folio essais)

En transition je vais évoquer un échange entendu :

« -Cela me     donne envie de reprendre l'aquarelle et d'exposer plus tard 

    -Réfléchis bien,     c'est un hobby manifestement très coûteux – Nous regardant-     N'est-ce pas vous en avez pour combien d'être venu et d'exposer ?    «   

4) La question de la  rémunération des artistes

Un hobby. Pour l'artiste débutant qui  doit endosser le statut d'artiste auteur, s'il veut vendre, ...sa pratique, hélas,  peut  effectivement ressembler à un hobby bien plus qu'à une pratique professionnelle et ce bien qu'administrativement il soit regardé ainsi.

La vente d'un ou deux tableaux permet rarement de rentrer dans ses frais …

Traverser la France en diagonale coûte parfois plus cher que de se rendre à l'étranger, s'ajoutent les frais de location pour une bonne semaine, sans compter les pertes dues au fait de ne plus pouvoir nourrir son réseau social ou peindre, assurer des ventes à distance etc ….

Est-ce que vraiment l'artiste débutant peut participer à un festival,  ...alors plusieurs …. ?

Et pourtant il en a besoin pour franchir un autre seuil : rencontrer des pairs, s'imprégner des gestes d'artistes plus expérimentés, apprendre des retours des visiteurs, s'ouvrir à des opportunités, démontrer sa valeur,...sont des essentiels.

L'artiste reconnu ou établi ou l'élite sont confrontés aux mêmes  questions même si la formule des stages et ateliers lors d'un festival leur permet quelques apports financiers.

Très souvent l'artiste débutant raisonne en investissement ….il sacrifie  son temps et accepte des pertes ...en se disant qu'il investit pour le futur...

Toutefois c'est un cercle vicieux qui peu à peu va s'installer en absence de ventes...avec le temps qui passe il va devoir faire des choix, surtout s'il est autodidacte ; où mettre son effort à perte, dans la formation ou dans la participation à des festivals (à supposer qu'il soit retenu) ? 

Personnellement je suis à ce carrefour : 

Je propose des dossiers de candidature à des festivals où espérer vendre tout en bénéficiant de l'apport humain d'une telle opportunité. Je vais être plus restrictive dans mes choix de formation, je vais bien plus les ajuster à mes besoins du moment, pour baisser ce coût induit. Je m'interroge sur le coût perte-bénéfice en fonction d'un événement. Par exemple je figure parmi les gagnants d'un concours prestigieux l'International Watercolor Master Contest...mon aquarelle est déjà partie sur le lieu d'exposition...mais j'hésite à aller la rejoindre. Est-ce que je dois engager  des frais pour le plaisir d'être sur site, même si c'est une occasion unique de s'imprégner des gestes d'autant de maîtres de l'aquarelle  réunis le temps d'une semaine …...

C'est une vraie question.

Parce que la bascule peut se faire ici dans les réponses à ces questions.

Hobby ou pas hobby ?

Progresser, atteindre un bon niveau....pour que les aquarelles restent au mieux sur les murs de notre maison ou sur ceux de nos amis....au pire dans nos tiroirs....

Ce n'est pas une question anodine, car cela pose la question de la culture et de son accès.

Le mot bonheur est revenu à multiples reprises dans les témoignages des visiteurs. Et les artistes aussi vivent du bonheur. L'aquarelle est une machine à bonheur mais elle est aussi traces de nos civilisations , comme les carnets de voyage, elle est expression, émotion, intelligence, art.

A chaque artiste qui disparaît de ne pouvoir exister au delà du luxe d'un hobby, c'est un peu de notre humanité qui se perd.

P.S: Pour ceux qui ne les auraient pas vues, un peu de ce bonheur dans ces vidéos sur Dinan:

https://sylvie-cesari.artmajeur.com/videos

Créé avec ArtMajeur