Sylvie Cesari

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Ajouté le 10 oct. 2025

L'aquarelle et l'émotion


L'aube de l'impressionnisme à Dinan sera l'occasion de réfléchir sur la capacité de l'aquarelle à créer des atmosphères et des univers remplis d'émotion.

Je vous propose de nous arrêter un instant sur cela.

Je partage à cette occasion avec vous ces lignes d'Albéric d'Hardivilliers dans son livre  intitulé «  L'écriture de l'ailleurs, Petits propos  sur la littérature nomade » paru aux éditions Transboréal. 

A moment, il fait le lien entre écriture et dessin s'agissant du regard posé sur ce qui nous entoure. Pour lui, il faut poser un regard qui ne peut être celui habituel, que ce soit pour l'écrivain ou tout dessinateur lorsque le réel doit être appréhendé, surtout dans un lieu nouveau où le détail peut détourner de l'essentiel à saisir.

«  (...)les professeurs de dessin dans les écoles d'art demandent à leurs élèves de « plisser les yeux » pour évaluer leurs travaux ; alors, les contrastes remontent, les détails accaparants repassent à l'arrière plan et l’œil peut se concentrer sur l'architecture générale. » (page 29)

«  Dans la phase qui précède l'écriture, ce regard décentré et oublieux de lui-même peut permettre une appréhension du réel non pas exactement plus complète, mais plus dense. En voyage particulièrement, où l'abondance de la nouveauté risque d'arrêter à tout instant le regard sur un détail sans importance, cette approche périphérique permet non pas seulement de décrire mais d'écrire, évitant ainsi  l'effet catalogue, la juxtaposition de faits et d'observations qu'aucune organisation intérieure ne viendrait soutenir. » (page 30-31 )»

« Pendant mes cours de dessin à l'école Penninghen, un professeur, trouvant sans doute que je cernais un peu trop les contours d'un nu me recommanda de « dessiner de l'intérieur ». Je mis un certain temps à comprendre cette expression. Peut-être ne l'ai-je d'ailleurs vraiment expérimentée qu'en commençant à écrire »(page 31)

Je ne sais pas si cet auteur considère que dessiner de l'intérieur aurait trait au récit de soi ( c'est à dire se positionner par rapport à soi, à l'autre et à ce qui nous entoure). Je ne sais pas non plus si c'est relié à  la notion d'intention.   Je me demande enfin si le "dessin intérieur" appelle à l'émotion. L'émotion comme un  ciment des strates de regards, pour que ces jetés de coups d’œil épars  trouvent sous le pinceau cohérence et mouvement. Un mouvement léger, indicible, comme un souffle humain destiné à l'autre ; celui ou celle qui regarde à son tour l'aquarelle.

Je ne sais pas...

...mais il me semble que c'était important d'en parler  avant de quitter cet univers du livre pour mieux s’appesantir sur l'émotion en aquarelle.

Il y a un moment, j'ai recroisé Jean.... Malgré ce petit bout de goudron inconfortable qui nous servait de lieu de discussion on parlait des passions qui animent.  Je lui ai dit que je voulais progresser en aquarelle. Voilà une activité qui l'attirait aussi, pour l'eau. Pour...cette évanescence ai-je demandé ? Ce flou ? Sa main faisait le geste, il cherchait à saisir le mot, puis de guerre lasse il m'a dit: "au final l'eau est insaisissable et pourtant on en garde quelque chose, une trace ; même sur les plus durs  rochers elle laisse sa trace. C'est cela qui m'attire, ce quelque chose qui reste. L'émotion sûrement. "

Une trace. insaisissable.

Lorsque je regarde les tableaux d'artistes contemporains, comme Corinne Izquierdo, Ewa Karpinska, Maryse De May , Joëlle Kruppa, Janine Galizia ....ou d'autres artistes bien plus lointains en temps comme William Turner....il me semble que ce qui les rejoint au delà de leurs styles, leurs sujets, leurs époques, c'est que leurs regards restituent bien peu de limites tranchantes ou enfermantes et que les sujets traités ne sont jamais non plus figés dans un univers. Celui qui regarde leurs tableaux peut être un voyageur, il peut être errant parce que le tableau en lui-même est mouvement, souffle humain, petite musique poétique car le vecteur de l'eau qui permet la transparence, le jeu des strates de jus, la migration des pigments, leur fusion, leurs échappées.....crèe l'insaisissable.

Et le voyageur du regard, ce promeneur qui découvre leurs aquarelles, bien qu'étranger, bien que l'autre, le voilà qui se retrouve en ces aquarelles.  Comme on se trouve dans ces lieux jamais visités auparavant et qui pourtant nous parlent au premier regard. Une trace de lui qui l'aurait précédé ? 

Mais qui serait ce passeur de lieux où l'on est déjà ? L'eau ? 

L'eau dont il faut comprendre les cycles, dont  tel un artisan on doit trouver les quantités. L'eau que sans cesse l'on se doit d'expérimenter dans son lien aux pigments, au papier, au pinceau .... pour que l'émotion soit là?

L'eau en aquarelle est ce que la chambre noire révèle en photographie : la lumière.

Une touche de lumière, une touche de flou...Et que dit-on ? L'aquarelle ne serait pas un art majeur ? Et pourtant... qui sait...un peu d'eau, une trace....les bords du Monde sont tellement durs et tranchants en ce moment....l'aquarelle a toute sa place. 


















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