Ajouté le 12 avr. 2025
Sur cette page du Musée des Beaux Arts du Canada, on trouve une analyse technique d'une oeuvre de Turner par une restauratrice:
https://www.beaux-arts.ca/magazine/sous-les-projecteurs/la-maitrise-technique-de-turner-naissance-dune-aquarelle
J'aime beaucoup ces analyses, en l'espèce on a un très bel aperçu des conditions de travail de l'artiste. Par exemple l'aquarelle examinée nous resitue dans le contexte de l'époque où l'oeuvre servait de mémoire et de soutien technique à un travail d'impression ( les couleurs et leur intensité allaient guider la justesse des contrastes et des valeurs pour le travail futur à l'eau forte par exemple), en l'espèce pour la réalisation d'un livre de relevé topographique après un travail d'archéologie.
L'examen de l'aquarelle fait également le point sur la qualité du papier, en pleine mutation car avant il était uniquement produit à partir de chiffons ( de lin par exemple ) , le coton commençait à peine à être utilisé, et manifestement Turner était attentif à être à la pointe de l'innovation. La restauratrice pense même que c'est le fabricant Whatman que Turner avait choisi comme fournisseur. Ce papier absorbait peu les pigments ou bien il utilisait des pigments qui n'étaient pas très lourds ce qui devait faciliter la technique de grattage à laquelle Turner recourait fréquemment. En effet il aimait créer des rehauts en ôtant précisément de petites zones de pigments pour retrouver le blanc du papier. L'analyse de l'oeuvre n'a pas permis de déterminer si c'est Turner qui avait fabriqué ses couleurs ou s'il s'était procuré ce qui à l'époque s'appelait des pastilles ; pastilles qui seraient assez proches de nos actuels godets .... Les pigments étaient plus purs, très finement broyés ; aujourd'hui ils sont plus synthétiques pour plusieurs couleurs. Mais ils étaient déjà compactés à l'état solide par de la gomme arabique ou du miel.
C'est tout le jeu de l'aquarelle: l'eau liquéfie les liants, le pigment peut alors se déposer sur le papier et en fonction de la quantité d'eau sur le papier et de ses caractéristiques il va plus ou moins voyager près de son point de dépôt sur la feuille. Ensuite en séchant peu à peu le pigment se solidarise au papier car le liant en reséchant fige le pigment. C'est ce qui explique pourquoi les couches de peintures que l'on ajoute après un premier dépôt sont aussi difficiles à travailler: remettre de l'eau c'est risquer de relancer la libération de pigments de la couche du dessous ou de contrarier un dépôt en cours d'adhésion par séchage .....
Enfin, les détails à la loupe de l'oeuvre de Turner permettent de compter le nombre de coups de pinceaux donné par l'artiste sur un élément du tableau : un personnage de 1,5cm de haut a donné lieu à 25 petits coups de pinceaux distillés avec 5 couleurs différentes..... et pour autant le personnage est plus suggéré que peint dans ses détails....
C'est assez surprenant car aujourd'hui les notions de "fraîcheur" , de spontanéité, nous incitent plutôt à limiter nos coups de pinceaux ....
Mais est-ce que nous peignons encore pour la mémoire d'un lieu ou d'un évènement ?